Nous n'allons pas numériser

Surprise : l’application n’a pas été utilisée !

À la fin des deux semaines du projet Workshop 2023, nous avons testé notre application avec les enfants et les salariés. Celle-ci fonctionnait et permettait de réaliser certains exercices et de pratiquer plusieurs compétences testées sans n’avoir aucune image stockée en ligne associée à un enfant. Après ces tests, nous pensions que l’application allait au moins pouvoir remplacer ceux-ci et réduire la quantité d’images à imprimer.

Six mois après l’atelier, deux membres de notre groupe ont repris contact avec l’association. Nous voulions savoir si elle avait pu utiliser l’application et nous apporter des retours plus concrets. Cependant, après quelques échanges, nous nous sommes rendu compte que celle-ci n’avait jamais été utilisée par les salariés et bénévoles ! Nous avons récolté des retours et nous nous sommes rendu compte que nous avions sous-estimé les besoins de l'association sur leur nécessité de personnaliser les cartes. Sans baisser les bras, nous avons acté qu’il fallait reprendre l’application au prochain Workshop pour définir les besoins et améliorer Bild pour la rendre utilisable.

Nous revoyons les besoins à la hausse

Une année scolaire s’est écoulée depuis la fin du premier Workshop avec le constat de l’inutilité de notre application. Avec un nouveau groupe, nous avons donc pu reprendre le projet Bild avec la structure pour cette nouvelle édition de l’atelier. Nous avons décidé de reprendre le projet et de l’améliorer, avec la certitude d’avoir saisi cette fois-ci les besoins de l’association et de pouvoir y remédier. 

Par soucis de temps, l’ancienne équipe chargée du projet Bild a travaillé sur un MVP (Minimum Viable Product) et a retranscrit uniquement deux compétences sur les huit. Les compétences à obtenir avec un support visuel pour chaque enfant. C’est de là que le problème survient. Lors des tests, les accompagnateurs ont eu de nombreux freins pour mener à bien tous les exercices concernant les compétences avec un support visuel.

Dans le but d’acquérir le plus d'informations, l’année dernière, l’ancienne équipe a fait plusieurs tests utilisateurs. De nombreuses vidéos ont été prises. L’une des vidéos retranscrit la méthode ABA exercée par une accompagnatrice avec des cartes en papier.

La retranscription vidéo du processus valide que même pour un MVP, il était impératif de numériser les 8 compétences évaluées avec un support visuel. Ce n’était pas tout. Le groupe actuel lors de son observation a constaté d’autres besoins plus spécifiques que les précédents. L’association avait besoin de lier un profil d’apprentissage unique pour chaque enfant et par conséquent d’avoir la possibilité de créer des cartes uniques. Par exemple, l’enfant A a besoin de trier des couleurs et l’enfant B a besoin de renforcer le processus d’apprentissage pour se laver les mains. De ce fait, il serait impossible d’avoir un profil pour les deux enfants.

Nous pouvons conclure que les deux besoins principaux relevés étaient d’avoir une banque d’image facile d’accès et personnalisable pour éviter de faire des recherches sur Internet et de retranscrire numériquement les compétences enseignées avec un support visuel.

On se prend une douche froide : les données de santé

Au départ, une idée simple : simplifier les processus d’évaluation en numérisant nos cartes pour aider les enfants autistes à mieux communiquer. Lors du premier Workshop, nous n’avions pas envisagé les complexités que cela engendrerait.

Stocker des données de santé pose plusieurs problèmes que nous n’avions pas autant anticipés.Tout d’abord, en termes de sécurité et de confidentialité, une donnée de santé contient des informations personnelles et sensibles, comme les détails intimes des soins, des antécédents médicaux et de l’état de santé général des personnes. La compromission de ces informations peut avoir de graves conséquences sur la vie privée des individus.

De plus, des lois strictes régissent la façon dont ces données sont collectées, stockées et utilisées. La violation de ces lois peut entraîner de lourdes sanctions. Les données de santé sont également souvent ciblées par des pirates informatiques. Toutes ces raisons demandent des mesures de sécurité supplémentaires coûteuses et complexes.

Nous avons essayé de contourner cette problématique en anonymisant ou pseudonymisant les données des enfants. Malgré nos efforts, la première méthode ne répondait plus aux besoins de l’association et la deuxième ne respectait pas les lois relatives à ces données.

Au-delà du domaine légal, il réside un questionnement éthique : voulons-nous réellement mettre en danger les données de ces enfants ?

Finalement, les contournements que nous avons tenté de mettre en place ne nous permettaient pas de rester en accord avec la loi tout en satisfaisant les besoins de l’association.

Un coût financier trop élevé pour l’association

La gestion des données de santé à deux coûts principaux : l’hébergement des données sur une solution sécurisée et la maintenance de l’application pour éviter les failles de sécurité. Il faut ajouter à ceci le coût matériel des tablettes utilisées pour accéder à l’application et prévoir la réparation et le rachat du matériel lorsque ce dernier est usé.

Pour empêcher les fuites de données, une mise à jour régulière de l’application est nécessaire. Ce travail nécessite la mise en place d’une veille et d’un temps alloué à l’actualisation des couches applicatives. D’après les prix du marché, le tarif journalier est de 500 euros pour une prestation qui répond à ces besoins. Nous avons estimé à 2 jours de travail par an le temps nécessaire à la maintenance, soit un budget total de 1000 euros par an. 

Pour l’hébergement des données, nous avons étudié les prix de Scalingo, une solution française homologuée dans les services web de gestion de données de santé.

À partir de l’offre minimale de Scalingo et le coût de l’hébergement de l’application, le coût total est estimé à 400 euros par an. 

À partir de cette base, nous estimons à environ 2000 euros le budget à allouer annuellement pour maintenir l’application Bild. Cette estimation inclut une marge d’erreur permettant d’anticiper les évolutions des prix des serveurs et l’augmentation des tarifs des prestataires.

2 containers S à 7,20€ / mois permettent de stocker les données de santé.

51 base de données PostgreSQL Business 512 Mo de ram et 10 Go de disque à 20€ / mois

Il reste des coûts à prendre en compte qui sortent du cadre de l’application. Aujourd’hui, l'association possède 2 tablettes dans ses locaux mais reçoit 4 enfants simultanément par jour. Même en ayant réussi une numérisation qui répond à tous les besoins de l’association, celle-ci ne pourrait pas l’utiliser avec tous les enfants. Elle devrait continuer à utiliser des jeux de cartes pour la moitié des enfants. Il faudrait donc additionner les coûts actuels que dépense l’association avec le papier et les ajouter à ceux que nous avons calculés pour l’application. 

La psychologue nous a expliqué que de nouvelles tablettes allaient être achetées. Malgré cela, il faut prendre en compte le coût en temps pour faire une transition du papier au numérique pour l’équipe et les enfants. En effet, il est envisageable que tous ne soient pas à l’aise numériquement et que la solution devienne une perte de temps. Finalement, il n’est pas si évident que l’application soit plus simple d’utilisation pour tout le monde que du papier.

Après leur avoir présenté les coûts potentiels, l’association nous a répondu qu’elle ne pouvait pas débloquer ce budget, ce qui a arrêté toute possibilité de terminer le développement de l’application.

Nous n’avons pas numérisé.

Plongés dans le déni, nous avons passé plusieurs jours à nager dans le doute et à trouver des concessions pour espérer répondre à la demande initiale de l’association. Nous avions commencé à concevoir une seconde version de Bild avec des profils et à développer celle-ci. Nous, qui faisons des solutions numériques, n’avons pas vu tout de suite que la solution papier était meilleure qu’une numérisation abusive.

“J'imagine qu'il est tentant, si le seul outil dont vous disposiez est un marteau, de tout considérer comme un clou” (Abraham Maslow en 1966)

La question des données de santé a servi de déclic pour passer le pas. Nous ne ferons pas Bild. Non pas par manque d’envie mais par volonté de ne pas mettre en danger des enfants, de ne pas créer des coûts inutiles à une association éthique et de rester dans une volonté de low-tech. 

Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas numérisé.

Ce document existe pour partager notre expérience, notre point de vue et les recherches que nous avons regroupées sur ce sujet. Il retranscrit notre cheminement de façon chronologique et en tentant de décrire au mieux les problématiques rencontrées, malgré la multiplicité de nos points de vue. Nous espérons que notre expérience servira à d’autres, et leur permettra de se questionner sur la numérisation ou d’y trouver des outils pour le faire.

De nombreux professionnels travaillent au quotidien sur le sujet de la non numérisation et de la dénumérisation. Nous nous sommes servis de leurs recherches pour argumenter nos propos et nos réflexions sur notre expérience. La dernière partie de ce livre regroupe ces recherches et explique leur utilité dans notre projet. Nous vous invitons à la consulter si vous souhaitez entendre les points de vue des professionnels sur notre travail. Vous pourrez aussi y trouver des outils pour évaluer la nécessité d’une solution.