Nous devions numériser

Le MMI workshop, un atelier de numérique d'intérêt général

Mars 2023. Début de l’atelier workshop dans la formation Métiers du Multimédia et de l’Internet (MMI) à l’IUT Bordeaux Montaigne. MMI est une formation qui pousse ses étudiants à réfléchir sur les outils numériques actuels, et à être capable de proposer des solutions graphiques, numériques et stratégiques qui s’articulent sur des ateliers. Workshop est l’un de ces ateliers. Il s’étend sur 2 semaines et a pour but de pousser les étudiants à produire un projet utile, faisable et qui n’a jamais été réalisé. Dans le cadre de cet atelier, différents acteurs peuvent venir proposer des projets ou évoquer des problématiques auxquelles les étudiants peuvent choisir d’y apporter une réponse. Ce fut le cas de l’association qui a contacté notre groupe.

L’association accompagne les enfants autistes

Nous avons été contactés par une association fondée par des parents d’enfants qui ont un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Elle se situe à Bordeaux et compte 7 employés et s’occupe d’une vingtaine d’enfants qui ont entre 3 et 15 ans. Elle forme aussi plusieurs bénévoles qui travaillent avec les enfants. L’association compte aussi dans ses salariés une psychologue qui travaille avec les enfants selon la méthode ABA (Applied Behaviour Analysis, ou analyse comportementale appliquée). Pour cela, les bénévoles et salariés réalisent des exercices avec les enfants dans des séances plusieurs fois par semaine. L’association ne reçoit que les enfants qui sont déjà diagnostiqués. Lors des premiers entretiens, la psychologue établit un programme pour l’enfant sur deux semestres basé sur cette même méthode.

La méthode ABA et les cartes imprimées

La méthode ABA se base sur des compétences à obtenir avec et sans supports visuels1 .

  1. Tableau fourni par la psychologue de l’association.
Compétences avec support visuelCompétences sans support visuel
Dénomination (“Qu’est-ce que c’est ? / “Qu’est -ce que tu vois ?/ “C’est quoi ?”, …)Imitation motrice (“Fais pareil”, “Fais comme moi” - gestes moteurs globaux, gestes moteurs fins : lever les bras, applaudir, lever et plier l’index, faire V de la victoire, …)
Désignation “Lequel aboie ?”, “Lequel tu peux boire ?”, (“Montre ….”, “Il est où …”, “Montre moi celui qui est rouge”, …)Imitation verbale (répéter le son, la syllabe, le mot produit par l’adulte : “Dis …..”, …)
Appariement (“Mets avec le même”, “Qu’est -ce qui va avec …”, …)Demandes (faire des demandes pour obtenir/refuser quelque chose, demander de l’aide, demander des actions “ouvre”, “donne”, …)
Tri (couleurs, formes, catégories, …)Répondre à des questions/compléter des phrases (“Comment tu t’appelles?”, “Qu’est-ce qui brille ?”, “Quand on a froid on met un …”, “On s’asseoit sur une …”, …)
Habiletés sociales (émotions : photos, vidéos, les cercles sociaux/ les règles morales, les etc. ) comportements non verbaux de communication, …)Habiletés sociales (jeux : attendre son tour, poser des questions, imiter, répondre à des questions, etc etc/ interpeller un adulte/ pair, l’attention conjointe, …)
Lecture (lettres majuscules, minuscules, mots, phrases, …)
Maths (les chiffres de 1 à …, nommer, désigner, reconnaître les différentes représentations : chiffres, constellations de dés, les doigts, etc., associer un chiffre à une quantité, … )
Écriture (passer sur les pointillés ou recopier des formes, lettres, mots, …)

Lors de la préparation d’une séance, la psychologue prépare une fiche de suivi pour celle-ci qui se présente comme ceci :

Le programme d’apprentissage décrit les compétences à travailler pour la séance, et l’objet spécifique sur lequel elle sera travaillée. Elle comprend à la fois des compétences visuelles, telles que PV-A, qui correspond à perception visuelle et appariement et des compétences non visuelles comme Mands à demande et RA pour réponse à un adulte. Dans les remarques, ITT (Intensive Trial Training) correspond aux phases de travail sur table, où l’enfant et l’adulte travaillent des compétences de façon intensive et avec des renforçateurs positifs. NET (natural environment training) est au contraire un apprentissage en environnement naturel et non structuré2


Sur une séance, les exercices doivent être répétés au moins 5 fois. La cotation permet de suivre la progression de l’enfant sur cette compétence. S’il réussit un exercice sans aide, une case est cochée sinon un “G” est inscrit pour “guidé(e)”. Cela signifie que l’adulte a dû guider l’enfant dans l’exercice. Pour considérer qu’une compétence sur un objet est acquise pour un enfant, elle doit avoir 80% de réussite sur 3 séances d'affilée. Pour communiquer cela, les salariées, bénévoles et la psychologue notent sur le côté de la feuille le nombre de fois où la compétence a été réussie, jusqu’à ce qu’elle soit considérée comme acquise.

Pour préparer une séance, les bénévoles travaillent avec des supports physiques. Dans ces supports se trouvent notamment des cartes avec des images dessus.

Ces images permettent de réaliser certains exercices qui nécessitent des supports visuels lors de la phase ITT. Chaque enfant se voit associer un classeur et un bac où sont rangés respectivement leurs fiches de suivi et les supports visuels.

Le déroulé d’une séance se découpe en deux étapes qui se répètent. Une première en NET qui se déroule dans un espace de jeux et une deuxième en ITT. Le déroulé de ces deux phases se fait dans un travail de compétences intensives et répétitives. Par exemple, plusieurs images sont placées sur une table devant l’enfant, et l’adulte demande à celui-ci de désigner l’image de la table ci-dessus. Si l’enfant y arrive seul, l’adulte coche une case de la feuille de suivi, sinon il le guide pour qu’il y arrive et marque un “G”. Cette description se déroule sur un temps entre 5 et 10 secondes, et sont après répétées.

Les acronymes au dos de l’image correspondent aux différentes compétences. Le point rouge est mis lors de la création de la carte pour signifier qu’elle est non acquise et le vert lorsqu’elle a été acquise. A la fin de la séance ou durant celle-ci, la fiche de suivi est complétée et les cartes sont actualisées. La fiche de suivi est ensuite rendue à la psychologue qui s’en servira pour préparer la suivante.

Les images sont rangées dans deux pochettes différentes, une pour les acquises et une pour les non acquises. Dans une séance, 80% des images proviennent de la pochette acquise et le reste de la pochette des non acquises. Finalement, lorsque des compétences sur un objet sont validées, elles sont renouvelées par la psychologue.

Une perte de temps et un gâchis écologique

L’association nous a expliqué qu’ils utilisaient des images pour réaliser leurs exercices visuels. Ils les impriment et les plastifient. Les bénévoles et salariées se relaient une demi-journée par semaine pour les préparer, ce qui représente une importante perte de temps. Chaque enfant a plusieurs centaines de cartes qui lui sont associées, et les bénévoles et salariés doivent créer des nouvelles cartes chaque semaine. La psychologue estime qu’il y a plusieurs dizaines de cartes imprimées, mais que le flux varie en fonction des semaines. Pour donner un ordre de grandeur de la quantité de papier et de plastique utilisés par semaine, nous avons estimé à un besoin de 50 nouvelles cartes par semaine. Ce qui représente x quantité de papier et plusieurs heures qui pourraient être consacrées aux enfants.

L’association nous avait bien expliqué, et nous avions pu nous rendre dans leurs locaux pour s’en rendre compte, la raison de la grande quantité d’images imprimées chaque semaine était dû à la nécessité de personnaliser les paquets d’images pour chaque enfant. Trouver une alternative à ce jeu d’images physique paraissait alors primordial.

Bild, une application web pour économiser du papier

En MMI, nous travaillons au quotidien sur des outils qui permettent de créer des solutions numériques. Lorsqu’un acteur vient nous voir avec un problème, numériser paraît être une évidence. Ça ne l'était pas que pour nous en tant qu’étudiants, mais aussi pour l’association et nos professeurs. C’est ce que nous avons fait. Nous avons numérisé une première application, intitulée Bild.

Pour pouvoir personnaliser Bild avec un degré de profondeur suffisant pour chaque enfant, cela nécessite de rentrer dans des données sensibles et très personnelles, comme la progression de l’enfant, son nom et prénom, et les capacités qu’il maîtrise sur les différentes cartes. Ces informations,dans le cadre de l'association, sont alors considérées comme des données de santé.

C’était la première fois que nous nous confrontions aux données de santé et celles-ci ne peuvent pas être traitées de façon négligée. En effet, elles sont encadrées de façon stricte par la loi, et nécessite une attention toute particulière lors du développement de l’application et du stockage de celle-ci qui dépassait notre projet étudiant. Se lancer tout de même dans une application personnalisée aurait pu exposer les enfants à différents dangers. C’est pour ces raisons que nos professeurs nous ont imposé de ne pas stocker ces données en ligne et de nous rabattre sur une solution locale. Nous nous sommes alors demandé s’il était possible de contourner un stockage en ligne tout en conservant une personnalisation profonde de l'application. Mais ces interrogations nous ont amené à nous rendre compte que cela complexifierait l’application et la rendrait inutilisable. Finalement, nous avons décidé d’oblitérer la possibilité de sauvegarder plusieurs profils d’enfants sur l’application. L’application finale, Bild, permet aujourd’hui de créer des paquets avec des noms, d’y ajouter des cartes que nous avions fournies et de sauvegarder ces cartes sur l’appareil. Elle se concentre sur les exercices de dénomination et désignation. Par cette alternative, nous espérions alors répondre au besoin principal de ne plus imprimer d’images.