Transcription
- Bonjour Claire Denesel, vous êtes professeure certifiée en économie, gestion et droit. Vous êtes docteur en sciences d'information et de la communication. Vous exercez à l'unité Bordeaux-Montaigne et au laboratoire MICA. Durant ce projet, vous nous avez aidé à comprendre ce que sont les données de santé et leurs enjeux. Nous avons pu nous documenter sur le RGPD et la CNIL. Nous aimerions approfondir ces sujets et vous donner la parole. - Oui, avec plaisir. - Alors voici la première question. L'hébergement de données sensibles est un sujet important. Avez-vous perçu une amélioration de la prise en compte du sujet par les organismes au cours des dernières années ? - Oui, clairement. D'ailleurs, la CNIL publie sur son site des statistiques qui montrent les réclamations qui sont faites soit par des personnes individuellement, soit par le biais d'associations. Et depuis la mise en place du RGPD, les réclamations globalement au sujet du recueil, du consentement et sur l'utilisation des données personnelles est en hausse. Clairement. - Donc c'est vraiment un sujet qui rencontre finalement une demande. C'est une prise en compte aussi de la demande des utilisateurs un petit peu, la légifération de tout ce sujet. Finalement, les utilisateurs s'y retrouvent, exercent leurs droits. Ce n'est pas quelque chose qui a été créé ou. . . - Alors, je dirais que ça existait déjà, puisque avant le RGPD, il y avait la loi de 1978, Informatique et Liberté, qui prenait déjà en compte le traitement des données personnelles. Donc ça n'est pas véritablement une nouveauté. En revanche, on peut dire que le RGPD fournit un dispositif structuré aux citoyens, qui a permis de prendre conscience, je dirais que c'est plus une prise de conscience généralisée des problèmes liés à la collecte des données et notamment à la collecte des données sensibles. Et ça se traduit par une augmentation des signalements, des réclamations, voilà, ça se traduit comme ça. Mais je dirais que le RGPD a généré une prise de conscience dans la population au sens large, sur la nécessité de réfléchir à la protection des données et à prendre en compte cette variable-là qui, au regard de l'utilisation massive maintenant des appareils qui collectent des données, devient nécessaire. - Vous avez parlé effectivement de réflexion sur la collecte des données. Nous, on a pu expérimenter cela en construisant une application. On s'est demandé à quel point on peut collecter les données, quelle est la qualité de ces données, est-ce qu'elles sont personnelles, est-ce qu'elles sont sensibles, voire médicales. Vous nous avez aidé à qualifier ça plutôt de données médicales. On a vu ça avec notamment les guides de la CNIL. Et il parlait dedans de pseudonymisation et d'anonymisation. Est-ce que vous sauriez nous expliquer la différence entre ces deux notions ? - — Alors je n'ai pas de connaissances suffisamment fines pour dire quelle est la différence entre la pseudonymisation ou l'anonymisation. En revanche, ce que je sais, c'est que le législateur qui a rédigé le RGPD – ils étaient évidemment plusieurs – ont préservé un espace de liberté pour justement permettre de continuer à exploiter les données. Alors moi qui suis chercheur, je suis bien placée pour parler de la collecte de données dans le but de la recherche scientifique, qui est un élément extrêmement important de la recherche. On ne peut pas se passer de la collecte des données. Et ces processus-là ont pour objectif de permettre à des champs d'activité de continuer à exercer avec un système simplifié. et d'ailleurs qui doit répondre à une démarche très spécifique sur le site de la CNIL, il y a un dispositif qui est expliqué. On ne peut pas procéder à une anonymisation avec des critères personnels. Il faut respecter une procédure. - Donc ça, voilà ce que je peux dire sur ce sujet-là. C'est quelque chose qui permet de conserver la possibilité de collecter des données pour faire des enquêtes Et la recherche, alors ça bénéficie à d'autres secteurs, mais en tant que chercheur, je connais bien ce sujet sur ce point-là. - — OK. Merci beaucoup. Effectivement, c'est un avis très important. Nous, dans notre cas, ce n'était pas pour faire de la recherche, mais pour une application directe. On avait besoin d'avoir des données très personnelles qu'on ne pouvait donc pas anonymiser. Et on a donc réfléchi aux conséquences qu'il pouvait y avoir en cas de fuite de données. . . qu'il fallait donc prendre au sérieux la sécurisation de ces données si on souhaitait les héberger. On a imaginé un petit peu les conséquences. Est-ce que vous, vous auriez des exemples concrets de conséquences lors de fuite de données médicales ? Nous, en l'occurrence, ce sont des données sur les enfants, leur niveau de compétence en communication, en association de concepts, sachant que ce sont des enfants atteints du trouble du spectre autistique. Est-ce que vous auriez des exemples concrets ? - Oui, alors j'ai des exemples et je dirais qu'il y a deux choses. Il y a la jurisprudence existante. Alors j'ai un cas en tête dont je ne peux pas vous dire comme ça de mémoire les références, mais il s'agit d'une société d'optique qui vend des lunettes et dont le site Internet était mal sécurisé. et des patients qui fournissent des données médicales puisque ce sont les mesures des déficits visuels constatés par ordonnance par un médecin, donc clairement des données médicales, qui étaient stockées sur le site dans les dossiers clients. Et certains clients s'étaient rendus compte qu'en changeant le numéro de client, ils pouvaient accéder à des dossiers de personnes tierces. Donc là, c'était un site qui ne répondait pas aux conditions de sécurité qui doivent être dès la conception du site de plus haut niveau. Et donc ils ont été condamnés. Alors c'est une des premières condamnations. - L'amende, il me semble, était de 700 000 euros pour la société. Alors bon, il faut savoir quand même que quand il y a des plaintes, la CNIL ne donne pas tout de suite une amende. Elle avertit, elle conseille. Une négligence de la part de cette société qui n'a pas fait les mises aux normes nécessaires et qui a été condamnée. Donc ça, c'est une première chose. Il existe des sanctions. Je peux parler de celle-là. C'est un exemple. Mais il faut aussi évoquer, il me semble que c'est important, de prendre conscience qu'aujourd'hui, grâce à la puissance de la collecte des données, et ça a été prouvé lors de colloques sur le sujet auquel je me suis rendue, sur justement le RGPD et les données personnelles, il a été prouvé qu'on pouvait identifier des personnes à partir d'un faisceau de données, dans lesquelles il n'y a pas nécessairement l'identité de la personne. - Donc, malgré le RGPD, avec le nombre, la quantité et la diversité des données comme la géolocalisation, etc. , les cookies, on peut finalement cerner une personne. Et quel est le problème ? Dans le fond, c'est que ces données, quand elles sont collectées, elles peuvent être revendues. On sait bien que c'est une activité lucrative pour certains GAFAM qui vivent de cela. Il faut se poser la question de savoir qui est intéressé pour acheter ce type de données. Ce sont essentiellement des personnes qui vont avoir besoin, c'est-à-dire des assurances, des mutuelles de santé, etc. Et donc on voit bien ce profil et le risque, c'est-à-dire que si on ne protège pas la collecte de données de santé, ces données de santé peuvent être traitées, revendues à des personnes qui pourront les utiliser, finalement à l'encontre des personnes qui ont eu cette collecte de données, à leur insu, même parfois avec un consentement. Mais c'est mesurer la portée, c'est-à-dire qu'il y a des chaînes - de revente des chaînes commerciales avec au bout des personnes qui sont intéressées par ces données et c'est vrai que quand on s'inscrit dans une association avec des données sensibles qu'elles soient médicales qu'elles soient religieuses qu'elles soient sur le genre etc On n'a pas forcément conscience que ces données, elles peuvent finir entre les mains de personnes qui vont les utiliser à nos dépens. Voilà, ça c'est le deuxième élément. Je pense que c'est important d'en parler. Et pour compléter l'approche judiciaire qui est nécessaire, s'il n'y a pas de sanctions, eh bien les entreprises ne se rendent pas compte des conséquences que ça peut avoir si elles sont négligentes. En l'occurrence, pour cette société d'optique, c'était une négligence, mais quand même maintenue, puisque je pense qu'ils ont dû recevoir des avertissements. - — OK. Merci beaucoup pour ces réponses. Une autre constatation de notre part, c'était. . . qu'au final le RGPD ne s'appliquait pas qu'à une collecte numérique, mais que toute collecte, même physique, est soumise finalement à cette sécurisation, cette information des utilisateurs, des usagers. Nous allons collecter certes par papier, mais nous allons tout de même collecter ces données. Donc au final, est-ce qu'une association typiquement qui. . . gèrent déjà tous ces problèmes, si elles passent au numérique, il n'y a pas forcément de grands changements à ce niveau-là, si ce n'est le moyen d'hébergement. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus à ce propos ? - Oui. Alors c'est intéressant, votre question, parce qu'effectivement, la sensibilisation sur la collecte des données se fait en creux par rapport au phénomène de l'ampleur du recueil de la data. et clairement la data, actuellement, elle est en grande majorité collectée par des voies numériques, des canaux de communication. Donc c'est vrai que quand on pense au RGPD, on a plus à l'esprit cette dimension de collecte numérique, mais ce texte s'applique à tout type de collecte de données. - Et que ce soit des collectes en format papier, où les gens complètent des cahiers, il y a eu des condamnations, mais également, et parfois ça ne saute pas non plus à l'esprit, quand on filme des personnes, on collecte le visage qui est une donnée personnelle. Et cette notion de donnée personnelle, elle est importante aussi parce que, que ce soit à titre personnel ou que ce soit même parfois de la part des professionnels, ils n'ont pas le sentiment d'être exposés à une donnée personnelle. Donc ça, c'est intéressant aussi de s'intéresser à ce sujet-là. Effectivement, ça va bien au-delà du numérique, même si. . . C'est vrai que c'est la numérisation et les technologies du numérique qui ont amené la nécessité de légiférer du fait de l'ampleur et de la rapidité. C'était les 5 V du big data au début, volume, vélocité, vitesse, qui justement ont fait prendre conscience du recueil massif des données. - Merci beaucoup. Le RGPD et la CNIL préconisent de ne connecter les données uniquement en SSF. Pensez-vous que la non-numérisation, dans notre cas de l'application, va dans ce sens-là ? - Alors, je dirais qu'il faut collecter les données dont on a besoin. Il ne faut pas se priver d'une efficacité pour limiter les données. La limitation de la collecte des données, elle est plus dans la perspective d'une utilisation marketing, finalement, des données c'est à dire que on doit collecter ce dont on a besoin pour réaliser l'activité dont on a besoin et ensuite il n'est pas nécessaire d'aller collecter des données qui finalement n'ont pas tellement de sens par rapport à l'objectif mais si votre objectif c'est réaliser un produit numérisé je dirais que ce n'est pas là le problème le problème c'est de réfléchir à de quelles données avez-vous besoin pour être efficace Et de quelles données n'avez-vous pas besoin ? Vous voyez ce que je veux dire ? La limitation de la collecte des données, je pense, à mon sens, il faut plus la voir sous cet angle-là. - Parce qu'on sait qu'avant le RGPD, il y avait des sociétés dont c'était l'activité qui collectaient massivement des données, notamment, on le sait, sur Facebook, des petits jeux où il y avait des collectes de données. Le jeu était créé justement pour collecter des données. à des visées publicitaires et marketing. Je pense qu'il faut plus le voir dans cet esprit-là, vous voyez, et ne pas vous limiter. Si vous en avez besoin, vous pouvez faire un site numérique. Ça n'est pas quelque chose qui va à l'encontre du RGPD. - D'accord, oui. Mais par contre, il faut mettre en place les moyens nécessaires. Et que ce soit physiquement ou numériquement, il faut mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la sécurité. Donc là, nous avons dans notre cas évalué les différentes solutions proposées, notamment par Scalingo, donc des hébergements de données de santé, toute une certification. Et nous nous sommes même posé la question si, en tant que prestataire, nous n'avions pas nous-mêmes à la passer ? bon ça c'était une lecture de texte juridique peut-être des fois parfois floue pour nous mais à partir du moment où on héberge des données numériquement Voilà, je mets un serveur web à la place d'un cahier. Il faut que ça soit sécurisé, il faut que ça soit reconnu, qu'il y ait des audits sur place, etc. - Oui, oui. Alors ça, c'est pour les données sensibles. Parce que le RGPD, via la CNIL, qui est l'opérateur national qui a été retenu pour gérer le RGPD en France. . . souhaitent sécuriser le plus possible les données et d'ailleurs ils aident, il y a un dispositif, vous l'avez évoqué, il y a des certifications qui sont avec des organismes référencés par la CNIL, il y a des processus de formation auprès d'organismes certifiés dont l'objectif est de permettre aux sites qui souhaitent exploiter des données personnelles liées à des données sensibles, dont la santé par exemple, d'être efficaces en termes de sécurité sur toute la chaîne finalement. - Vous vous posez la question de passer cette certification, je dirais que ça peut être intéressant si vous vous spécialisez dans la collecte de données à caractère sensible. Là, oui, ça peut être quelque chose d'intéressant, cette certification. Sinon, c'est quelque chose, je pense, qui prend du temps et certainement qui coûte de l'argent. Donc peut-être qu'il faut réfléchir de près au projet. Mais je pense que, par exemple, des cas comme Doctolib, etc. , qui sont des applications de collecte massive de données médicales, de données de santé, eux ont les certifications et je ne les connais pas, mais je suis certaine qu'à l'intérieur de l'entreprise, il y a des personnes, et certainement plusieurs, qui sont des spécialistes de la question. Parce que ce que vous ne voyez pas, mais qui est dans le RGPD, c'est toutes les obligations qui incombent aux propriétaires des sites internet pour organiser le système d'information. - Le système d'information doit être structuré de manière à pouvoir répondre au RGPD, c'est-à-dire qu'il doit y avoir des registres qui sont tenus et dans ces registres, il doit y avoir un délégué aux données personnelles et son rôle, c'est de dire Où sont stockées les données ? Comment est-ce qu'elles sont exploitées ? S'il faut les restituer, comment les restituer ? Et ils doivent pouvoir répondre à des questions notamment de la CNIL. Donc il y a tout un volet en interne quand on gère des sites sur la mise en place du RGPD. Moi j'ai longtemps formé des informaticiens et au moment où le RGPD s'est mis en place, j'étais en formation avec des informaticiens qui m'expliquaient que ce sont des procédures extrêmement longues, coûteuses, et lourdes pour mettre les sites en conformité. Donc ces questions de certification, c'est un élément qui rentre dans tout ce que l'on ne voit pas quand on n'est pas propriétaire du site, mais qui est très important. C'est une garantie, en quelque sorte. - Merci beaucoup pour cette réponse qui me permet, je pense, de conclure cette série de questions et qui permet aussi au final de se rendre compte que le RGPD, toutes ces problématiques, ce sont des problématiques finalement déjà connues à partir du moment où on collecte des données, par exemple physiquement, dans le cadre d'une association qui n'a pas numérisé ses produits, mais que la numérisation de ces produits va apporter tout son lot de. . . Pas de problème, mais son lot de coûts peut-être financiers ou temporels ou même humains, dans le sens où si l'association souhaite faire évoluer, je ne sais pas, son produit, si elle est sur du papier, c'est elle qui maîtrise elle-même son propre registre, son stockage, etc. Et si elle externalise tout ça en passant par un prestataire pour un stockage informatique, elle va ne plus être maîtresse de tout cela. Voilà. - C'est tout à fait vrai ce que vous dites. En revanche, elle sera responsable, puisque le RGPD fait incomber à celui qui collecte la donnée la responsabilité de la conformité de ce qu'on appelle les sous-traitants au RGPD. Donc c'est à l'association. dans votre cas, de vérifier que les services de numérisation ou d'exploitation par le biais de voies techniques, informatiques, sont conformes au RGPD. C'est une assignation de responsabilité très lourde, en fait. Et c'est vrai que c'est un problème pour les associations de taille modeste, qui souvent n'ont pas de fonds pour cela. Et ils ont une responsabilité malgré tout, qui est lourde. - Merci beaucoup de votre disponibilité, Claire. Je vous remercie. - Je vous en prie, merci.